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En mars 2018, Jean-Pierre Thomas, président du Cercle de l’Épargne analysait dans une interview pour AMPHITÉA les enjeux de la future réforme des retraites. Lui qui plaide depuis plus de 20 ans pour la création de fonds de pension à la française, souhaite, que le nouveau système s’appuie sur deux piliers : la répartition et la capitalisation.
1. Une nouvelle réforme des retraites se profile à l’horizon 2019. En quoi est-telle nécessaire, alors que depuis le début des années 90 les réformes se sont succédées à un rythme soutenu ?
Oui, depuis un quart de siècle, nous vivons au rythme des réformes paramétriques. Depuis 1993, en effet, les gouvernements et les partenaires sociaux ont décidé de jouer sur les différents curseurs de notre système : allongement de la durée de cotisation, report de l’âge légal, passage des 10 aux 25 meilleures années pour le calcul des pensions de base, modification des valeurs d’achat et de rachats des points pour les complémentaires, etc. Prises dans leur globalité, ces réformes aboutissent à une économie de 6 points de PIB au niveau des dépenses de retraite en 2040. Si au moment de leur discussion, elles ont donné lieu à de sérieuses contestations, elles n’ont pour autant jamais été remises en cause dans le cadre des nombreuses alternances politiques que le pays a connu entre-temps. Il est à noter qu’à l’exception de la période de cohabitation de 1997 à 2002, toutes les majorités depuis 1993 ont mis en œuvre une ou plusieurs réformes.
Notre système de retraite est en permanente évolution, mais a conservé son architecture datant de la fin de la Seconde Guerre mondiale. À l’époque, pour des raisons sociologiques, sociales, historiques et politiques, les pères fondateurs de la Sécurité sociale n’avaient pas réussi à imposer un régime unique. Les secteurs qui disposaient de couverture sociale avant-guerre n’ont pas souhaité se fondre au sein du nouveau régime jugé moins intéressant. C’est ainsi que les “régimes spéciaux” perdurent depuis. Les indépendants, les agriculteurs et les professions libérales n’ont pas, par ailleurs, rejoint la Sécurité sociale de peur d’être placés sous le contrôle des syndicats de salariés. De même, l’État qui avait lui aussi développé de longue date une protection sociale pour ses agents n’a pas souhaité rentrer dans le régime général.
Enfin, les anciennes caisses de retraite qui avaient été créées notamment durant l’entre-deux guerres, se sont transformées pour assurer des compléments aux régimes dits de base. Les cadres, du fait du plafonnement des pensions fournies par le régime général, furent les initiateurs des complémentaires.
Ce système pluriel, malgré des rapprochements et des regroupements, reste donc aujourd’hui d’actualité. Il demeure 37 régimes de base et une centaine de régimes complémentaires, mais dans les faits, contrairement à quelques idées reçues, de nombreuses règles sont communes. Le remplacement du système actuel par un régime unique ou un régime universel s’inscrit dans la recherche d’une plus grande équité et dans une logique de simplification des modalités de gestion. Les Français adorent l’égalité, à la réserve près qu’ils ne doivent pas en être les victimes. En matière de retraite, du fait de la multiplicité des régimes, de nombreux fantasmes circulent.
À tort ou à raison, certains statuts ou professions seraient avantagés par rapport à d’autres. Les comparaisons entre les différents régimes quand elles sont réalisées avec tout le sérieux nécessaire concluent rarement de manière unanime sur les avantages et les inconvénients des régimes existants. L’édification d’un régime unique, ou du moins d’un régime selon lequel les pensions seraient calculées de la même façon, serait plus facile à piloter. Il n’y aurait plus alors à mener, tous les trois ou cinq ans, les réformes que nous connaissons actuellement.
En revanche, le changement de système ne modifie pas, du moins dans un premier temps, les équations budgétaires. Il pourrait même occasionner quelques surcroîts de dépenses générées par les nécessaires compensations attribuées aux perdants de la mutation et par les coûts de réorganisation.
2. Emmanuel Macron a annoncé son intention de mettre en place un système de retraites par points, tout en maintenant le principe de la répartition. Que pensez-vous de cette philosophie générale de la réforme ?
« Nul n’imagine que le président n’opte pas pour la répartition qui assure aujourd’hui 85 % des revenus des retraites. Ce système a même été sacralisé par l’article 1er de la loi portant réforme des retraites, dite loi Fillon, qui précise que « la Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations ».
La solidarité intergénérationnelle qui est le moteur de la répartition a du sens, mais évidemment cela n’est pas sans limite. Les dépenses de retraites ne doivent pas faire porter un fardeau excessif sur les jeunes générations au point qu’elles ne puissent plus accéder au monde du travail. C’est pourquoi, je défends, depuis plus de 25 ans, l’idée qu’à côté d’un premier pilier par répartition, il y ait un deuxième pilier par capitalisation au niveau des entreprises et un troisième au niveau individuel.
Concernant, le recours à un système par points, ce choix est assez logique. C’est le plus simple et le plus facile à piloter. Ce serait choisir la technique qui prévaut notamment pour les complémentaires des salariés, AGIRC et ARRCO. Il ne serait pas inconvenant que ces deux régimes dont la fusion est prévue au 1er janvier 2019 soient à la base du nouveau système. Depuis 70 ans, l’AGIRC verse des pensions aux cadres selon cette technique.
Régime par points certainement mais sera-t-il en comptes notionnels ou pas ? Dans un tel système, les pensions sont calculées en intégrant un coefficient d’espérance de vie. Les Suédois, les Italiens, les Allemands ont opté plus ou moins pour un tel dispositif qui permet d’équilibrer les dépenses retraites.
3. Le Président de la République souhaite fondre dans un seul système universel les 37 régimes de base qui existent actuellement. Pensez-vous qu’il va parvenir à faire cette réforme dont on parle depuis des années, d’autant qu’elle risque d’être techniquement très compliquée ?
Les 12 travaux d’Hercule ne sont rien à côté ! Cette réforme concernera un très grand nombre d’acteurs publics et privés, les trois fonctions publiques, les régimes spéciaux, les régimes de base, les régimes complémentaires, les partenaires sociaux, les groupes de protection sociale, etc. Une telle réforme transverse suppose une multitude de négociations, d’arbitrages, des compensations. Il faudra traiter les dossiers épineux des fonctionnaires, des salariés des entreprises de transport et de l’énergie, des agriculteurs, des professions libérales, etc. Ouvrir la boite de Pandore est facile, la refermer moins !
De nombreux points techniques devront être réglés. Il faudra, en premier lieu, définir le périmètre de la réforme, les régimes concernés. Il faudra également déterminer les assurés qui seront touchés par le basculement dans le nouveau régime. Les actuels pensionnés ne devraient pas subir de changements, si ce n’est peut-être l’organisme dont ils dépendent.
En revanche, quelles seront les générations touchées par le changement des règles du jeu ? Il est fort probable que les plus de 55 ans restent soumis à l’ancien système pour éviter la mise en place de mécanismes complexes de compensation. Les actifs de moins de 55 ans pourraient basculer dans le nouveau régime avec à la clef la nécessité de figer leurs droits dans l’ancien système. Tous les pays qui ont décidé de mener de telle réforme ont prévu des périodes de transition. Ainsi, l’Italie avait, en 1995, décidé de réaliser sa grande réforme des retraités sur 40 ans.
En 1998, la Suède, pour la mise en place de son système en « comptes notionnels », avait retenu une période transitoire de 17 années. En Allemagne, le passage d’un régime par annuités à un régime par points en 1992, a, en revanche, été instantané, avec une conversion d’emblée des droits anciens.
Le cas échéant, il faudra déterminer des règles de transfert pour les retraites complémentaires qui sont calculés par points. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que derrière les pensions, derrière les 37 régimes de base, derrière la centaine de régimes complémentaires, il y a des milliers de salariés. Ils devront changer d’employeur, être reclassés, ce n’est jamais simple. Cette réforme nécessitera de régler de nombreuses questions juridiques, de nombreuses questions techniques, informatiques.
Il faudra choisir un mode de calcul pour les pensions, intégrer les dispositifs de solidarité comme la réversion, les majorations pour charge de famille, la prise en compte des périodes liées aux congés maternité, etc.
Avec la réforme, une seule caisse gérera-t-elle toutes les pensions mais qui resteront différentes en fonction des statuts ou des professions ? Avec la réforme, est-ce que toutes les règles de calcul des pensions seront alignées, mais avec le maintien d’une certaine autonomie de gestion entre les différentes caisses ? Est-ce qu’un mélange de ces deux voies est possible ?
4. L’opinion publique est en tout cas favorable à cette réforme puisque selon l’enquête 2017 Cercle de l’Épargne / AMPHITEA sur les Français et la retraite, 70 % des sondés sont favorables à l’unification des régimes…
Il convient d’être prudent en la matière. Nul ne connaît encore la réforme que mettra en œuvre le gouvernement. L’opinion publique se cristallisera après les annonces gouvernementales. Ce que révèle l’enquête 2017 du Cercle de l’épargne, c’est que les Français souhaitent plus d’équité. Ils demandent que les pensions soient calculées selon des règles identiques.
Un récent sondage publié au mois de décembre et commandé par le ministère des Solidarités souligne que plus de huit Français sur dix (84 %) sont favorables à une harmonisation des régimes de retraite, mais que seulement 40 % se prononcent pour un régime unique. 45 % se prononcent pour « un socle commun de retraite gardant certaines différences selon le statut professionnel ». Les salariés du public, sont moins favorables au régime unique (26 %) que les salariés du privé (36 %). Ces résultats traduisent bien la complexité du dossier…
5. Emmanuel Macron devra-t-il, selon vous, intégrer les régimes complémentaires qui sont une centaine pour le moment ? S’il le fait, ne risque-t-il pas de mettre à mal le paritarisme ?
La question de la gouvernance est au cœur de cette réforme des retraites. Notre système de gestion de la protection sociale s’est construit, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, sur une base paritaire. Les problèmes financiers récurrents, la généralisation de l’assurance-maladie et de l’assurance-vieillesse et la technicité croissante de la protection sociale ont favorisé son étatisation croissante.
L’élaboration, à partir de 1996, des lois de financement de la Sécurité sociale a conforté cette tendance. Le paritarisme a réussi à se maintenir au niveau des régimes de retraite complémentaire et en particulier à l’AGIRC et à l’ARRCO. Les partenaires sociaux n’ont pas, en la matière, failli à leurs responsabilités en prenant des mesures qui ont permis de préserver la pérennité de ces régimes, voire de constituer des réserves durant les périodes fastes.
Nous aurions tout à perdre à mettre un terme au paritarisme. En effet, il est important que sur le sujet majeur qu’est la retraite, les partenaires sociaux puissent s’entendre.
6. Toujours concernant le paritarisme, que pensez-vous de la fusion entre l’Agirc et l’Arrco qui doit intervenir en 2019 ?
Cette fusion décidée en 2015 et prévue pour le 1er janvier 2019 était programmée de longue date. En effet, le processus a été engagé en 2001 avec la création du GIE Agirc-Arrco qui regroupe les moyens des deux fédérations Agirc et Arrco. Cette fusion intervient au moment même où s’entame une réforme bien plus large. Elle pourrait donc servir de modèle.
Par ailleurs, le travail de simplification en cours doit nous amener à réfléchir sur les moyens de maintenir un niveau correct de taux de remplacement (rapport pensions / derniers revenus d’activité) pour les cadres qui sont les plus touchés par les réformes des retraites mises en œuvre depuis 1993.
7. Quel impact risque d’avoir le transfert du RSI à l’assurance vieillesse en cas de mise en place d’un régime universel de retraite ?
Le Régime Social des Indépendants a été intégré au régime général de la Sécurité sociale. Ce transfert a été réalisé sans modification des règles en vigueur pour les indépendants. Les pouvoirs publics ont voulu avant tout mettre un terme à la polémique concernant la perception des cotisations dans le cadre du RSI.
Cela ne présage pas obligatoirement de la méthode qui sera choisie par le gouvernement pour la future réforme des retraites. Certes, le régime général, pour la première fois de son existence, gère un régime complémentaire mais celui-ci reste dirigé par des représentants des indépendants.
8. Le système de bonus-malus mis en place en octobre 2015 par les partenaires sociaux pour la retraite complémentaire repousse de fait l’âge de départ à 63 ans pour les salariés du privé. Une incitation supplémentaire à mettre en œuvre des solutions personnelles de préparation de sa retraite ?
Le débat sur le report de l’âge légal de la retraite à 65 ans est clos pour le moment. Notre pays est aujourd’hui celui où cet âge, fixé à 62 ans, est le plus faible de l’Union européenne. Les Français demeurent attachés à partir tôt à la retraite. En ce qui concerne les complémentaires, les partenaires sociaux ont eu le courage d’instituer un système de bonus/malus.
Les salariés remplissant les conditions d’obtention de la retraite à taux plein qui ne décaleront pas d’un an leur départ à la retraite subiront à compter du 1er janvier 2019, un abattement de 10 % de leurs pensions complémentaires. Cet abattement est applicable durant trois ans dans la limite des 67 ans. Plusieurs catégories de retraités ne seront pas assujetties à ce malus. Il en sera ainsi pour les retraités exonérés de CSG. Pour ceux soumis au taux réduit de CSG, la décote sera de 5 %.
Les participants qui décalent, en revanche, de deux ans, l’âge de départ, pourront bénéficier d’une majoration de pension durant un an. Cette majoration sera de 10 % pour ceux partant avec 8 trimestres supplémentaires par rapport à l’âge de la retraite à taux plein, de 20 % et de 30 % pour ceux qui continuent à travailler respectivement durant 12 et 16 trimestres. La borne des 67 ans ne s’applique pas pour l’obtention de ce bonus.
Les responsables des complémentaires pensent qu’une majorité des nouveaux retraités subiront le malus de 10 %. Or, au moment de la liquidation des droits, les dépenses des ménages ont tendance à s’accroître. Déménagement, envie de voyages, achat d’une voiture sont autant de dépenses à réaliser. De ce fait, la possibilité de bénéficier d’un complément de retraite pour compenser la chute des revenus est évidemment à étudier.
9. L’augmentation de la CSG de 1,7 point va impacter le niveau de vie de beaucoup de retraités au nom de la solidarité entre les générations. Cette mesure vous semble-t-elle, sinon juste et équitable, du moins justifiée au vu du niveau de vie moyen actuel des retraités ?
Une diminution de 1,7 point de pouvoir d’achat n’est jamais agréable. Le gouvernement assume un transfert des retraités vers les actifs. Cette mesure ne concerne pas les retraités qui sont, soit exonérés de CSG, soit assujettis au taux réduit de 3,8 %. 40 % des retraités ne sont donc pas concernés. Il est souvent mis en avant que le niveau de vie des retraités est supérieur à celui de l’ensemble de la population. Par unité de consommation, il est plus élevé de 6 points. Mais, il faut indiquer que cet avantage est temporaire et amené à disparaître.
En 2030, le niveau de vie des retraités, en raison de l’application des différentes réformes, sera inférieur à celui de la population. J’aurai préféré que le gouvernement aligne le taux applicable aux pensions sur celui des revenus d’activité.
En vertu de quoi, un salarié payé au SMIC doit acquitter une CSG à 9,2 % quand un retraité gagnant deux fois plus sera soumis à une CSG à 8,3 %. Certes, les montants des pensions sont inférieurs aux revenus d’activité, ce qui peut expliquer cette différence.
10. Pensez-vous que le dispositif de la retraite supplémentaire n’est pas assez connu des Français ?
Les Français sont pleinement conscients qu’ils ont intérêt à épargner pour améliorer leur future retraite. Ils sont 50 % à mettre de l’argent de côté chaque année à cette fin. Le nombre important de produits d’épargne retraite est peut être une source de confusion. PERP, COREM, Préfon, contrats Madelin, PERE, PERCO et quelques autres… les Français peuvent se sentir un peu perdus.
Ces différentes formules sont le fruit de notre histoire. Par ailleurs, certains sont de nature professionnelle et collective et d’autres de nature individuelle. Fin 2015, 12,2 millions de personnes détenaient un contrat de retraite supplémentaire en cours de constitution auprès de sociétés d’assurances, soit 18 % de la population française et plus de 40 % de la population active. 60 % des indépendants sont couverts par un contrat Madelin.
Certes, les cotisations ne s’élèvent qu’à 12 milliards d’euros et les prestations à 8 milliards d’euros. Certes, l’encours reste modeste à côté de celui de l’assurance-vie : 190 milliards d’euros contre plus de 1650 milliards d’euros. Mais, longtemps ignorés, ces produits gagnent du terrain. Il n’y a plus d’hostilité idéologique à leur encontre. Il faut gagner le pari de leur développement.
11. Vous êtes à l’origine, en 1997, de la première loi créant les plans d’épargne retraite et visant la création de fonds de pension à la française. Vingt ans plus tard, ces fonds n’existent toujours pas, on a l’impression que la guerre de religion entre tenants de la répartition et de la capitalisation sévit toujours et que les Français fuient encore la bourse pour placer leur argent dans des fonds en euros… Est-il trop tard, comme vous l’avez écrit, pour des fonds de pension à la française ? Sommes-nous condamnés en France, comme vous l’avez aussi écrit, à un capitalisme sans capital ?
20 ans, le temps d’une génération… mais la loi de 1997 n’a pas été inutile même si elle n’a pas été appliquée. En effet, elle a permis l’instauration du Plan d’Épargne Retraite Populaire (PERP), même si, comme vous le signalez, les pouvoirs publics sont restés au milieu du gué en refusant la création de véritables fonds de pension. Cela a été une erreur et nous le constatons chaque jour. Les épargnants ont été perdants en ne pouvant pas accéder à des produits performants, les entreprises également en ne pouvant pas accéder à des sources de financement à long terme.
La guerre de religion est terminée. Les Français, d’études en études, confirment qu’ils sont favorables à un système mixte reposant sur un fort pilier par répartition mais complétée par un pilier par capitalisation. Les pouvoirs publics sont en retard d’une guerre. Depuis une dizaine d’années, la question du renforcement des fonds propres est un fil rouge. La réorientation de l’épargne des ménages est un slogan qui survit aux alternances et au changement de gouvernement.
Ces dernières années, il y a eu des avancées intéressantes avec notamment la possibilité pour les assureurs de créer des institutions de retraite professionnelle qui ne seront pas assujetties à la directive prudentielle Solvency II qui n’est pas adaptée aux produits d’épargne de long terme.
Il n’est pas trop tard mais il y a urgence. Il y a une ardente obligation de réussir. Il ne faut pas gâcher les deux rendez-vous qui s’avancent, celui sur le financement des entreprises et celui évidemment sur la réforme des retraites.
12. Les Français ont-ils bien compris ce que sont les fonds de pension et les avantages que des fonds nationaux pourraient avoir sur l’économie nationale ?
Les fonds de pension ont eu, dans notre pays, très longtemps mauvaise réputation. Entre retraite par répartition et retraite par capitalisation, les ressemblances sont plus fortes que les différences. À tort, la capitalisation et les fonds de pension ont été considérés comme des vautours. Or, un fonds de pension a comme objectif de dégager des revenus récurrents sur une longue période afin de verser des pensions à ses adhérents. Les fonds de pension sont placés dans des investissements au long terme. Ils ne participent pas aux mouvements spéculatifs. Les entreprises les recherchent, car ils sont plutôt des acteurs stables avec des comportements prévisibles.
En Europe, les entreprises françaises figurent parmi celles dont le poids des actionnaires non-résidents est le plus important. De ce fait, elles sont tributaires d’investisseurs étrangers. Perte d’indépendance mais également surcoût car, par nature, un investisseur étranger est toujours plus exigeant qu’un investisseur national.
Par ailleurs, est-il logique que nos entreprises les plus performantes financent les retraités des autres pays, mais pas les nôtres ? Le refus idéologique des fonds de pension a eu comme conséquence que nous finançons les régimes de retraite de nos partenaires. Nous poussons sans doute un peu loin notre altruisme !
13. Le Président de la République a annoncé son intention de réorienter l’épargne des Français vers l’économie productive. Quelles mesures devrait-il prendre pour que cette intention se concrétise ?
L’épargne est une chose sérieuse qu’il ne faut pas toujours confier au politique. L’épargne, c’est le fruit du travail, c’est le renoncement au présent. L’épargnant a donc le droit, voire le devoir, d’être exigeant. Ses objectifs sont la sécurité, la liquidité et le rendement. Et j’ajouterai la simplicité. La réorientation de l’épargne doit répondre aux besoins de l’économie mais surtout à ceux des épargnants. Que pouvons-nous donc souhaiter : la stabilité, en évitant de changer en permanence le régime de l’épargne et la simplicité, avec un cadre juridique et fiscal compréhensible de tous.
Sinon, je souhaiterais que soit instituée une législation favorable au Trustee et à la fiducie pour faciliter la création de fonds de pension et faciliter la transmission des entreprises. La possibilité de transmettre son entreprise à des structures financières indépendantes en franchise fiscale serait une bonne solution.
Je souhaite également une amélioration du régime de la donation pour accélérer la circulation du capital. Enfin, pour faciliter la création de véritables institutions de retraite par capitalisation, je préconise la mise en place de dispositifs au niveau des branches professionnelles. Cela donnerait la possibilité aux salariés des PME d’être mieux couverts en matière de retraite supplémentaire.
14. Selon vous quel va être l’impact de l’année blanche fiscale sur l’épargne des Français ?
Je regrette que l’instauration de la retenue à la source, promise depuis plus de 20 ans, ne s’accompagne pas d’une véritable réforme de notre bon vieil impôt sur le revenu qui date de 1958. Cet impôt miné de toute part par l’accumulation de dispositifs dérogatoires appelés niches fiscales, complexe à souhait, mérite une refondation.
La retenue à la source supprime la fameuse année de décalage qui pénalisait certains contribuables connaissant de fortes variations de revenus d’une année sur l’autre. Les personnes perdant leur emploi, les nouveaux retraités, les familles devant s’acquitter de l’impôt sur le revenu des proches décédés, etc. sortiront gagnants. La retenue à la source sera gérée par les entreprises qui recevront de la part de l’administration fiscale, pour chacun de leur salarié, un taux moyen d’imposition fixé par foyer. Les salariés qui ne souhaiteront pas divulguer une information sur leur imposition pourront opter pour un taux forfaitaire. Ils devront le cas échéant s’acquitter du solde en cours d’année. Cette gestion de la retenue à la source sera complexe, car notre impôt repose sur un système de quotient conjugal et de quotient familial. De ce fait, il y aura interférence entre le taux moyen d’imposition et les revenus des conjoints.
Par ailleurs, mais cela est incontournable, la retenue à la source ne supprimera par la déclaration annuelle d’impôt sur le revenu. Elle servira à mentionner les revenus exceptionnels, les dépenses ouvrant droit à avantages fiscaux, etc. Les deux prochaines années seront sensibles. En effet, les revenus perçus en 2018 ne serviront pas d’assiette à l’impôt sur le revenu. Néanmoins, l’administration a prévu que les contribuables seront imposés sur tous leurs revenus exceptionnels afin d’éviter d’éventuels abus de droit.
Si les réductions d’impôt seront prises en compte dans le cadre de l’impôt payé en 2019, il en sera autrement pour les déductions de charges. À noter que pour les abattements accordés dans le cadre de l’épargne retraite, le Ministère de l’Économie retiendra la valeur moyenne des versements effectués en 2018 et 2019 pour calculer l’avantage fiscal applicable à cette dernière année. Néanmoins, l’enveloppe de déduction au titre de l’épargne est reportable sur trois ans.
Pour l’épargne, au-delà de la retenue à la source, c’est l’instauration du Prélèvement forfaitaire unique de 30 % qui constitue une véritable nouveauté. Ce prélèvement nécessite un audit de sa situation financière afin d’apprécier son impact éventuel.
La retenue à la source est, à mes yeux, une étape vers une rationalisation de l’impôt sur le revenu mais il aurait peut-être mieux valu imposer le prélèvement mensuel et supprimer le paiement par tiers. La retenue à la source n’est peut-être qu’une première étape. Les pouvoirs publics peuvent à tout moment avoir l’intention d’intégrer la CSG dont le taux est désormais de 9,2 %.
Flat tax, retenue à la source, modifications concernant les retraites, l’épargne, nous vivons une grande mutation qui nous oblige à une remise en cause tant chez les épargnants, les contribuables que chez les professionnels.
À propos du Cercle de l’Épargne
Centre d’études et d’information indépendant, partenaire d’AG2R LA MONDIALE et d’AMPHITÉA, le Cercle de l’Épargne est présidé par Jean-Pierre Thomas. Il mène des études à dimension économique et sociale et des actions de formation pour comprendre les grands enjeux de la protection sociale.
Par : Louis Bassenne Publié le : 1 mars 2018