La future loi visant à créer un système universel de retraite par points et la loi PACTE sur l’épargne-retraite vont modifier profondément nos habitudes en matière d’assurance vieillesse. Décryptage.
Jean-Pierre Thomas : « La retraite, c’est la rente ! »
Auteur d’une loi, jamais appliquée, sur les fonds de pension à la française, Jean-Pierre Thomas plaide inlassablement pour une épargne retraite supplémentaire par capitalisation susceptible de pallier les défaillances de la répartition. Il a donc accueilli favorablement la loi Pacte et recommande sans hésiter la sortie en rente pour les nouveaux produits mis en place.
Bien que votée et publiée au Journal officiel en 1997, la loi instituant un supplément de retraite par capitalisation, dont vous êtes l’auteur, n’a jamais été appliquée, car abrogée par le gouvernement socialiste de Lionel Jospin. Depuis, différentes mesures sont venues renforcer l’épargne retraite, mais en catimini, comme si les gouvernements successifs n’osaient pas vraiment annoncer la couleur. La loi PACTE marque-t-elle l’affichage d’une volonté enfin assumée, où pensez-vous qu’il s’agit d’un nouveau rendez-vous manqué ?
L’épargne retraite, on en faisait, en France, en cachette. La Préfon a été créée en 1967 par des syndicats afin de permettre aux fonctionnaires de se constituer leur capitalisation individuelle. Pour autant, quand j’ai présenté ma proposition de loi en 1993, plusieurs membres de cabinets ministériels m’ont demandé de la retirer. Ils craignaient la réaction des syndicats et des Français. Il a fallu faire montre de persévérance. Cependant cette dernière ne fut pas totalement récompensée en raison du refus de Lionel Jospin de publier les décrets d’application. La loi PACTE est une heureuse initiative.
Pour la première fois, un gouvernement ose redessiner, au grand jour, l’ensemble de la législation de l’épargne retraite qui était faite de bric et de broc. Nous faisions face à plusieurs couches de sédiments qui ne sont pas toujours cohérentes. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a travaillé autour de trois axes : convergence, portabilité et concurrence. Il a décidé de ne pas partir d’une feuille blanche en créant un nouveau produit. Il a préféré faire entrer dans une nouvelle enveloppe, le Plan d’Épargne Retraite, les produits existants. Pour les épargnants et les entreprises en charge de commercialiser les suppléments de retraite, tout change mais les fondamentaux demeurent. Il y aura toujours les versements individuels des PERP, des Madelin, des articles 83 ; il y aura toujours les versements obligatoires pour ce dernier produit et l’épargne retraite financée par l’épargne salariale. Mais tout cela sera soumis aux règles du PER.
Rendre obligatoire un pilier capitalisation permettrait de pérenniser pour de bon notre système de retraite en sauvant la répartition. Pourquoi est-ce si difficile pour le gouvernement de prendre cette décision ?
Nous y viendrons. J’en suis convaincu. Il ne faut pas se leurrer : avec 25 millions de retraités d’ici 2060 et une croissance qui demeure faible, le niveau des pensions par répartition par rapport aux salaires d’activité est amené à poursuivre sa baisse. Le dernier rapport du Conseil d’Orientation des Retraites le confirme. De ce fait, l’espace de l’épargne retraite ne peut que croître. Les branches professionnelles auront tout intérêt à se doter d’accords sur ce sujet. Elles y seront d’autant plus incitées que la réforme des retraites de Jean-Paul Delevoye devrait aboutir à une diminution à terme du taux de remplacement des cadres.
Comme à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les partenaires sociaux devront s’engager dans l’élaboration d’un nouvel étage d’assurance retraite. En 1947, l’AGIRC fut créée pour compléter, pour les cadres, les pensions du régime général, ces dernières ne peuvent pas dépasser 50 % du plafond annuel de la Sécurité sociale. J’espère bien que nous pourrons avancer vers la création d’un pilier de retraite professionnelle par branche comme cela existe chez nos partenaires.
Pensez-vous que le nouveau PER va, comme l’espère le Gouvernement, siphonner une partie de l’assurance-vie, malgré la modernisation du fonds euro-croissance ?
« L’assurance vie, c’est un super tanker de plus de 1 700 milliards d’euros. L’épargne retraite est une vedette rapide de 230 milliards d’euros. Les Français sont attachés à l’assurance vie qui leur offre en matière de placement, de la sécurité, de la liquidité et du rendement. En outre, ce produit permet de déroger aux règles fiscales et aux règles de succession de droit commun. Les Français adorent pouvoir déroger…. L’assurance vie est un produit à multiples facettes. Il permet tout à la fois de servir de poche d’épargne de précaution et de placement en vue de la retraite ou de la succession. Ces avantages demeurent avec ou sans PER. Le Gouvernement a consenti un avantage fiscal pour inciter les ménages à transférer tout ou partie de leur contrat d’assurance vie sur un Plan d’Epargne Retraite. Jusqu’au 31 décembre 2023, l’abattement de 4 600 euros pour un célibataire et de 9 200 euros pour un couple, applicable sur les gains des contrats d’assurance vie en cas de rachats, est doublé s’il y a réemploi sur un PER. Je ne pense pas que l’objectif des 100 milliards d’euros d’encours supplémentaire sera atteint comme le prévoit le gouvernement d’ici 2022. Il y a aura peut-être plusieurs milliards qui passeront d’un produit à l’autre, mais certainement pas de siphonnage ! »
La loi PACTE prévoit que les assureurs devront proposer aux détenteurs d’unités de compte au moins une UC ISR, verte ou de finance solidaire. Est-ce pour vous un gadget ou pensez-vous que cela peut aider les Français à se tourner davantage vers les actions ?
« Cette mesure en faveur des unités de compte solidaires et responsables répond à un double objectif, favoriser la réorientation de l’épargne des Français vers les placements longs et faciliter le financement de la transition écologique. Aujourd’hui, plus de 60 % de l’épargne est investie en produits de taux. Afin de renforcer nos entreprises et pour éviter qu’elles ne soient contraintes de se tourner exclusivement vers les fonds étrangers, il est important d’amener les Français à changer leurs habitudes. Concernant le caractère ISR des unités de compte, il faut souligner que sur moyenne et longue période, elles peuvent offrir des rendements très attractifs. »
Les épargnants ont la possibilité de sortir en rente ou en capital. Lorsqu’on connaît le peu d’appétence des Français pour la rente, ne risque-t-on pas de les voir choisir majoritairement la sortie en capital pour finalement se retrouver en fin de vie avec des problèmes de dépendance sans solution financière ?
La rente contre le capital, c’est une autre très vieille rengaine française. À mes yeux, un supplément retraite est un produit ayant vocation à délivrer un revenu récurrent durant la retraite. Les Français seraient allergiques à la rente, car ils craignent de ne pas recevoir leur dû. Ils craignent qu’en cas de décès, l’argent ait été épargné en pure perte. La rente a mauvaise presse. Nous avons encore en tête la faillite des rentiers des années 1930 ou l’érosion des rentes du fait de l’inflation, même si, aujourd’hui, cette dernière joue à l’arlésienne. Il faut avouer qu’au Royaume-Uni, le même débat a eu lieu et a débouché sur la même solution qu’en France.
Avec le Plan d’Épargne Retraite, les assurés auront la possibilité de sortir en rente ou en capital. Cette dernière sortie ne fera pas l’objet d’un traitement fiscal incitatif, ce qui pourrait conduire les Français à réfléchir un peu. En effet, en moyenne, l’espérance de vie à la retraite est de 25 ans. Il faut pouvoir gérer son capital durant une si longue période, être capable de surmonter les crises et les krachs. À 70 ou à 80 ans, il n’est pas toujours aisé de faire les bons choix financiers. Rente ou capital, ce débat est réducteur. Il faut sortir de cette bataille de tranchées par le haut en proposant des produits adaptés au mieux aux attentes des assurés.
Le Gouvernement prévoit de sécuriser les fonds investis à l’approche de la retraite, via la gestion par horizon. Sachant que les investisseurs en épargne retraite sont plutôt en deuxième partie de carrière, donc proches de la bascule de sécurisation, la volonté de réorienter l’épargne vers l’économie réelle affichée dans la réforme ne risque-telle pas d’être un vœu pieu ?
L’espérance de vie augmente mais les pouvoirs publics ont tendance à raccourcir la duration des produits financiers. Je comprends la logique du Gouvernement de sécuriser les placements retraite en optant pour une gestion pilotée avec une prise en compte de l’âge du détenteur du plan. Mais, cela conduit à pénaliser ce dernier. En effet, avec des taux d’intérêt nuls, voire négatifs, le renforcement de la poche obligataire réduit par nature les rendements. Cela pénalise aussi les entreprises. Il y a une évidente contradiction entre le message adressé par le Gouvernement aux Français et les solutions techniques mises en œuvre. Il faudrait plus de souplesse dans la gestion de ces plans et arrêter de présenter les actions comme des placements à risques. Les obligations peuvent également connaître des fluctuations, surtout en cas de remontée des taux.
Le nouveau dispositif d’épargne retraite va surtout concerner les revenus hauts ou confortables. Quid de tous les Français qui n’auront pas les moyens de se constituer une retraite supplémentaire par capitalisation ? Est-on en train de créer un monde des retraités à deux vitesses ?
Le nouveau produit d’épargne retraite est ouvert à tous. Aujourd’hui, de nombreux salariés bénéficient d’un PERCO ou d’un article 83. Il en sera de même avec le PER. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que ce sont les cadres, les indépendants et les professions libérales qui ont des taux de remplacement – rapport pensions/revenus d’activité – inférieurs à celui des autres actifs. De ce fait, il n’est pas absurde qu’ils puissent se constituer des plans d’épargne retraite. Mais, au-delà de ce constat, je suis favorable à la mise en place d’un deuxième pilier de retraite par capitalisation couvrant tous les actifs, le premier étant celui du futur régime universel par répartition.
Vous plaidez pour une remise à plat du régime fiscal de l’épargne. Pourquoi ?
Dans le cadre du Plan d’Épargne Retraite, j’aurai souhaité une plus grande convergence des règles fiscales pour éviter toute distorsion de concurrence entre les produits. Je ne suis pas opposé à l’introduction d’un dispositif de crédit d’impôt pour les contribuables les plus modestes même si, j’en conviens, la situation financière de l’État ne permet pas pour le moment de telles largesses.
Le Conseil d’orientation des retraites annonce un retour à l’équilibre des régimes de retraite plus tardif que ce qui était prévu, en 2056 ou en 2070. Il appuie toutefois ses estimations sur des prévisions démographiques, de croissance ou d’emploi plutôt optimistes. Le gouvernement va présenter son projet de réforme des retraites en fin d’année. Ne craignez-vous pas que ces prévisions l’incitent à temporiser en renonçant à des mesures radicales, mais nécessaires ?
Le Gouvernement a annoncé l’abandon de l’accélération du programme d’allongement de la durée de cotisation à 43 ans. Il avait imaginé appliquer cette durée dès la génération 1964, quand elle est prévue pour les générations 1973 et suivantes. Cette accélération se serait télescopée avec la réforme des retraites présentée le 18 juillet par Jean-Paul Delevoye.
Par ailleurs, le Gouvernement veut éviter d’ouvrir trop de fronts avec les syndicats. Il n’en demeure pas moins que la question de l’équilibre de notre régime de retraite se pose avec ou sans réforme. En effet, le Conseil d’Orientation des Retraites a clairement indiqué que le retour à l’équilibre ne se ferait pas avant 2056 voire 2070. La France s’enorgueillit d’avoir un système de retraite performant, mais dont le coût est élevé. Pour maintenir son efficience, le report de l’âge de départ à la retraite est incontournable. Le COR l’écrit et tous les responsables le savent. Il faudra mettre à un moment les pieds dans le plat.
Fin janvier, les deux-tiers des Français étaient favorables à la mise en place d’un système universel par points. Au début de l’été, près de la moitié se disaient opposés à la réforme Macron telle quelle se profile. Ne craignez-vous pas une amplification de l’opposition au texte plus on se rapprochera de l’échéance ? Autrement dit, plus les Français transposeront la réforme sur leur cas particulier…
Un changement de système, un changement de mode de calcul des pensions, ne peuvent que générer des gagnants et des perdants. Les premiers se taisent, les seconds hurlent. Dans un contexte de suspicion généralisée, les Français estiment que cette réforme a des objectifs masqués, à savoir le report de l’âge de départ à la retraite et la diminution des pensions. Le Gouvernement aurait dû jouer franc jeu dès le départ. Si l’équité est bien la pierre angulaire de cette réforme, les responsables politiques auraient dû admettre que nous sommes confrontés à des problèmes de financement. Ils auraient dû souligner que la France n’est pas une île. Il y a des réalités économiques et financières.
Certes, la promesse du Président de la République de ne pas modifier l’âge légal fixé à 62 ans, contraint le Gouvernement à avancer en terrain miné sur ce dossier. Mais, il faut savoir à un moment ou un autre trancher le nœud gordien. Pour indemniser les perdants de la future réforme, il y a fort à parier que le Gouvernement pourrait être amené à utiliser les réserves des régimes de retraite actuels pour indemniser en partie ces perdants, au risque d’en créer de nouveaux. En effet, ces réserves dont le montant dépasse plus de 130 milliards d’euros ont été constituées par les assurés des différents régimes, cadres, professions libérales, etc. Elles pourraient servir de base pour de futurs régimes professionnels par capitalisation.
Bio express
Homme d’affaires et ancien homme politique, Jean-Pierre Thomas a créé en 2013 la banque d’affaires Thomas Vendôme Investments.
Impliqué fortement dans la campagne électorale de Valéry Giscard d’Estaing en 1981, il a été un acteur important du Parti Républicain entre 1986 et 1997.
Ancien associé-gérant de la Banque Lazard de 1997 à 2013, il est l’auteur de la première loi sur l’épargne retraite, dite loi Thomas, jamais entrée en vigueur faute de décrets d’application.
Il préside le Cercle de l’Épargne depuis sa création en 2014.
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