La France consacre un tiers de ses dépenses publiques à la réduction des inégalités sociales. Mais ce budget alloué à un système de protection conçu en 1945, plombe les comptes publics. Même s’ils sont attachés à leur modèle social, les Français, ne comprennent rien à ses évolutions successives et à son fonctionnement et ne savent plus qui finance et qui perçoit les prestations. Une réforme s’impose, mais laquelle ?
Jean-Claude Fluhr : « Notre système efficace est mal connu. »
Syndicaliste CFDT au sein de l’Assurance retraite, Jean-Claude Fluhr a occupé toute sa vie des responsabilités dans le domaine de la protection sociale, jusqu’à devenir le président de l’Institut de la protection sociale européenne. Il nous fait part de son regard qu'il porte sur le système de protection sociale français.
Cela fait 43 ans que vous travaillez dans le domaine de la protection sociale dont vous êtes devenu un spécialiste. Quel jugement global portez-vous sur le système de protection sociale français ?
Il est très au point et globalement efficient, ne serait-ce que parce la prise en charge ne s’interrompt pas lors des périodes d’inactivité, grossesse, maladie, invalidité, chômage etc.
Mais son fonctionnement n’est pas assez connu de ceux qui peuvent y avoir recours. Il y a tellement d’aides que beaucoup de gens méconnaissent leurs droits et ne savent pas où s’adresser, vers quelle structure se tourner.
Un seul exemple : deux millions de personnes pourraient obtenir une aide liée à l’accès à l’énergie, mais ne la perçoivent pas, soit parce qu’elles ignorent qu’elles y ont droit, soit parce que les démarches pour l’obtenir leur paraissent trop compliquées.
La ministre de la Santé a récemment évoqué la nécessité d’instaurer un guichet unique. C’est une très bonne chose, mais il faudrait alors que les personnes qui l’animent soient capables de bien renseigner et aiguiller leurs interlocuteurs.
La fracture numérique aussi pose un problème d’accès aux droits.
La France est championne européenne de la protection sociale, au moins en termes de dépenses, mais cela n’empêche pas une forte contestation sociale, dont le mouvement des gilets jaunes est l’une des manifestations. Comment analysez-vous ce paradoxe ?
J’entends tous les samedis des manifestants dire « j’ai travaillé toute ma vie et je ne touche que 500 euros de retraite par mois ». Je suis désolé de le dire un peu crûment, mais si une personne ne perçoit que 500 euros de retraite mensuelle, c’est qu’elle n’a pas assez cotisé. Cette question des cotisations est un réel problème.
En Allemagne, on n’est plus chômeur à partir du moment où l’on travaille 15 heures par semaine. On sort alors du système de protection sociale, sans pouvoir vivre avec ce qu’on gagne. En France, heureusement, la solidarité nationale prend le relais avec le minimum vieillesse et le minimum contributif.
Notre système de protection sociale date de 1945. Doit-il évoluer ?
Oui, c’est obligatoire ! Il faut rétablir l’équité entre les citoyens. Je suis un fervent partisan de ce postulat de la réforme Delevoye selon lequel un euro cotisé donnera les mêmes droits, quel que soit le régime de retraite.
Cette réforme va donc dans le bon sens…
Oui, même si ça ne va pas être facile d’harmoniser 42 régimes spéciaux au sein d’un régime universel. Prenons l’exemple des fonctionnaires : c’est scandaleux que leurs primes ne soient pas encore prises en compte dans le calcul de leurs retraites.
La réforme ne sera donc pas simple à mener, mais il y a pas mal de pistes sur lesquelles on peut faire des avancées. La CFDT, mon syndicat, réclame depuis des années une réforme systémique. Même si nous ne sommes pas d’accord sur tout ce que prépare le haut-commissaire, son projet va dans le bon sens.
Aujourd’hui une entreprise n’est plus obligée de suivre les recommandations de sa branche professionnelle pour choisir son assureur prévoyance. Cette fin des clauses de désignation, décidée par le conseil constitutionnel au nom de la libre concurrence, fait dire à certains que la prévoyance est en danger. Pouvez-vous rassurer les adhérents d’AMPHITÉA ?
La fin de ces clauses simplifie la vie des entreprises, c’est un fait, car elles peuvent changer d’assureur comme, et quand, elles veulent en allant souvent au moins disant. Mais il y a un vrai risque de dumping de la part de certains assureurs qui peuvent être tentés de racheter des contrats déficitaires, quitte à financer l’opération en puisant dans leurs fonds propres…
Par ailleurs, quand on mutualise les risques santé au niveau d’une branche, on obtient un effet levier et, au final, plus de moyens, notamment pour faire de la prévention. A contrario, si chacun fait ce qui lui plaît, il y a une dilution des énergies et on ne peut pas mener des actions d’envergure. On voit d’ailleurs que beaucoup contrats ne mettent pas en œuvre leur obligation de consacrer 2 % des cotisations au HDS – haut degré de solidarité – qui finance notamment la prévention au niveau des branches.
Vous venez d’être élu président de l’Institut de la protection sociale européenne. Pensez-vous qu’il faut plus d’Europe, notamment en matière de protection sociale ?
Je crois en l’Europe et je crois qu’il n’y aura pas de salut pour notre pays si nous restons franco-français. Il faut absolument faire cette Europe sociale dont on parle depuis trop longtemps, notamment en harmonisant nos politiques.
La sortie chaotique de la Grande-Bretagne de l’Union est d’ailleurs sans doute une bonne chose, car depuis le début du feuilleton du Brexit et depuis que les Britanniques ont compris ce qu’ils risquent de perdre, on n’entend plus les populistes européens.
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